Contre l’impuissance de l’art : les archives de Ruimte Morguen
Fondée en 1979, l’asbl Morguen est née d’un projet de rue avec les riverains du quartier Bleekhof, à Borgerhout, Anvers. L’initiative de ce projet fut prise par un certain nombre d’artistes, dont Marc Schepers, Luc Tuymans, Leen Derks et Jacques Sonck.
« Morguen » est un néologisme, une contraction de deux mots : morgue et morgen (demain en néerlandais), qui part de l’idée que le présent est uniquement le vestige ou le cadavre du passé qui se prolonge dans l’avenir et que les reliques du présent équivalent à des « vanités ». Ainsi, des mouvements et des changements ont muté avec le temps en point programmatique fixe, ce qui a donné lieu à une méthode de travail dialectique.
Une étape dans le développement de ce programme fut la création d’un lieu d’exposition permanent, Ruimte Morguen, en 1982. Dans leur manifeste de cette même année, ils affirmaient que l’espace était destiné à dénoncer « l’impuissance de l’art, son impossibilité, son absence de durabilité, son élitisme, son assujettissement au pouvoir ». À l’origine, l’espace se situait dans la rue Van der Keilen à Borgerhout. Ensuite, il s’est installé au Waalsekaai 21-22, dans le quartier du Sud à Anvers.
Le thème des premiers projets de Morguen s’articulait autour de ce que le groupe appelait « art populaire actuel », un concept suggéré par la revue allemande Volksfoto. Zeitung für Fotografie d’Andreas Seltzer et Dieter Hacker et par la médiation des Produzenten Galerieën principalement actives à l’époque en Allemagne de l’Ouest. Les questions sociales et l’environnement urbain constituaient donc le point de départ des multiples expositions et projets de Ruimte Morguen. La liste des artistes qui y ont exposé est longue : B. J. Blume, Didier Bay, Eberhard Bosslet, Werner Klotz, Luc Tuymans, Paul Van Biervliet, Ria Pacquée, Nadine Tasseel, Marcel Van Maele, Paul De Vylder, le fondateur en personne – Marc Schepers, et bien d’autres.
Si les activités de Ruimte Morguen étaient diverses, les thèmes sociaux étaient toujours au cœur des événements ; en témoignent, entre autres, les projets socio-artistiques organisés depuis 2002 dans le quartier Europark de la rive gauche d’Anvers, qui abrite des tours de logements sociaux.
En 2020, Marc Schepers a décidé de mettre fin à l’existence de Ruimte Morguen. Il a entre-temps 68 ans et la survie de l’asbl devenait de moins en moins évidente à assurer. Schepers a confié au M HKA les archives bien conservées de l’espace.
Marc Schepers poursuivra la mise à disposition des archives, en collaboration avec le CKV (le centre des archives d’art de Flandre). Les archives se composent de nombreuses boîtes contenant de la documentation sur les artistes, des classeurs à anneaux avec du matériel archivistique d’artistes et d’expositions, le tout classé par ordre chronologique, de la correspondance, des invitations, des publications et du matériel audiovisuel tel que des photos, des vidéos et des cassettes audio. Au total, il y a 16 boîtes de déménagements et 150 Go d’archives numériques. Le CKV a demandé à Marc Schepers d’ouvrir quelques boîtes et de contextualiser certaines pièces. Cette conversation de la série unboxing the archives (sortir les archives de leurs boîtes) a été enregistrée et fait partie d’un plus vaste projet autour de l’histoire orale que le CKV a lancé en 2021.
En apprendre davantage sur Ruimte Morguen ? La revue HART s’est entretenue avec Marc Schepers (n° 214, juin 2021).
(JS)